
Sûr que là-bas, dans son bled paumé au fin fond de la Haute-Marne, la pouilleuse, on l'appelait "eul' Fernand". Le coude rivé depuis une paire d'années au zinc de l'unique troquet de Villegusien.
Sûr que c'était le bon gars, eul' Fernand, qu'il m'aurait plu, farouchement, de cet amour que peuvent parfois ressentir des péquenots quand ils se rencontrent ; ou des ivrognes. Sûr qu'il aurait plu à quelques de mes plus chers, eul' Roger des Ardennes, eul' lorrain Dadu, le Rubab aussi. Des gars de l'Est, là où le pays ça cause. Violemment.
Un verre de rhum en son honneur, un verre de rhum à son silence, lui que je ne connais que par les yeux brillants et les mots de celle que je chéris et qui devait me le présenter dans moins d'un mois.
Gars de soixante-dix berges quand il y est passé, le cancer du poumon s'acoquine mal avec la cirrhose, il est accoudé, sans doute, à son bar, taiseux, les yeux rieurs. Il prend un rata. Ancien garçon coiffeur, il doit avoir gardé la classe du barbier de Reggiani ou des frères Coen, conversation minimale, gestes aussi affûtés que son rasoir.
Il reprend un rata, t'en sert un d'autorité, semble avoir toujours été à cette place, dans ce bar. En décembre, quand il fait dans les - 40°C sur le plateau de Langres. En août, lors du festoche du Chien à Plumes qui voit pulluler hippies et touristes. C'est qu'il en a vu passer, au troquet, des zikos du festoch. Dont les fameux gars de Fishbone. Les mythiques dandys funky trash de L.A. paumés au coeur de la Haute-Marne. Qui boivent leur coup après le set forcément d'anthologie puisqu'ils ne savent faire que ça. Qui quémandent la goutte locale au comptoir. Eul' Fernand est là, comme toujours. Il doit causer, avec son patois et son accent du coin, à des lascars so hype from L.A., coke en vison et toque free for all. Il cause du pays, de la goutte qui ravage le bide, des zikos qu'il a vu passer mais qu'ils sont bien braves les Fishbone, du rhum que je bois à son silence. Ils écoutent et doivent parler de la ligne de basse qui fut un peu déconnante ce soir, de cette goutte qui ravage le bide, so far away from L.A. Ils ne se comprennent pas mais sourient. Nouveau rata. Nouvelle tournée. Une dernière goutte, pour la route.
Nous n'aurons même pas l'occasion de boire la première. Il s'est barré au bistrot de mes souvenirs rejoindre le Beudeff et le vieux Léon. Là où l'on se reconnaît d'un claquement de verre sur le zinc, d'un mégot de vulgaire gauloise. Peu importe sa dernière bière. Il n'est pas encore l'heure de finir la mienne.
Je serai dans son bar le 8 août. Brel chantera en sourdine. Des dandys de L.A. enverront un fuckin' riff en hommage. Le rata et le goutte sentiront le deuil et le souvenir ; eul' Fernand rira du tout-là-haut-qui-n'existe-pas.
Le grand Jacques chante à en pleurer
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